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crois que les actions ont besoin d’idées. L’heure n’est plus de cette matière que l’on appelle l’or blanc. Il y a aussi des quand c’est pour quelque chose qui vous intéresse, c’est de
au diagnostic mais à l’action. Et ce qui m’intéresse c’est matières qui sont très demandés aujourd’hui. Et puis il y a le la passion. A bientôt 47 ans, c’est l’expérience et mes échecs
d’être dedans, de faire et d’être sur des sujets qui vont mar- lyocell qui est une alternative à la viscose et qui est dans un qui m’ont construite et me permettent aujourd’hui de faire
quer dans le temps. L’engagement, c’est donner du sens à mode de transformation beaucoup plus vertueux à travers des choix sans compromis. Savoir dire non est extrêmement
ses valeurs, c’est ne pas avoir peur de donner quitte à tout un cycle fermé. important et je sais dire non à des missions ou des choses
perdre. Je suis passionnée par ce que je fais, je travaille sur qui ne m’intéressent pas. J’apprécie le travail en équipe, il y
des stratégies mais sans concrétisation, elle n’a pas de sens. Avez-vous remarqué une amélioration a un vrai partage et une dimension collective, tout seul on ne
C’est pourquoi il faut être un technicien de la RSE. de l’impact du développement durable réussit pas. J’ai la chance d’avoir des clients qui me donnent
depuis le début de votre aventure ? les moyens de pouvoir construire des projets à impact sur
Qu’est-ce N.L-V — J’ai observé une accélération depuis 3 ans et la le long terme et c’est passionnant. Ce que j’aime aussi par-
qu’un vêtement durable ? situation Covid n’a fait que la renforcer. La meilleure lec- dessus tout et que je ne peux pas faire pour le moment, c’est
N.L-V — Un vêtement durable c’est un vêtement qui a le ture de nos sources d’approvisionnement a prouvé que de voyager et d’être sur le terrain pour me confronter à la
moins d’impact possible sur l’environnement, au niveau l’industrie du textile en France était abîmée. Il est néces- réalité, à l’inattendu, et c’est cela qui fait la richesse et qui
social et sociétal. On va faire attention aux modes d’agri- saire de la relocaliser et de la relancer afin de donner les va vous donner de la consistance pour parler de quelque
culture, à la pollution des eaux, à la consommation des res- moyens à ses industriels de repartir. Certaines initiatives chose. La RSE ça ne se fait pas derrière un bureau, je n’y
sources fossiles ou encore au gaz à effet de serre. C’est un françaises méritent d’être soutenues notamment sur le crois pas. Les théories, les diagnostics, moi ce n’est pas mon
produit “glocal” : penser global et agir localement. C’est aus- lin avec une nouvelle filature, c’était le seul maillon de la truc. Ce qui m’intéresse, c’est l’action.
si le marché secondaire, qui aujourd’hui est en croissance chaîne qui manquait. Je dirais que les marques sont glo-
beaucoup plus forte que le marché primaire. Je pense que balement sincères dans cette volonté de trouver des solu- Une anecdote à partager ?
c’est la quatrie révolution industrielle de notre métier et que tions pour produire mieux, mais il y a aussi un élément N.L-V — J’ai une association et lorsque ma fille avait 6-7 ans,
le vêtement durable est aussi une bonne définition par rap- très important qui génère cette accélération, c’est la répu- je l’ai emmené avec moi, pour l’inauguration d’une classe
port à toute cette économie circulaire. tation des marques. La nouvelle génération, qu’on l’aime d’enfants de la rue à Madagascar . Pour que les enfants aient
ou non, c’est 30 à 50% de la population mondiale donc accès à l’éducation sur du long terme, il faut financer la
Expliquez-nous le terme “Made How” ? autant dire qu’il faut s’adapter à leur vision. Ils n’ont pas nourriture de la famille. Nous avions passé la journée avec
84 N.L-V — On parle beaucoup de “Made In”, c’est ce que l’on envie d’hériter d’un monde sacrément abîmé, ils ont en- eux et leurs parents afin de les sensibiliser à ce sujet. Ma fille 85
voit sur les étiquettes avec le pays de fabrication. Ce n’est pas vie de prendre les choses en mains et d’avoir un rapport leur a demandé : “Quel est votre rêve ?” mais les enfants, qui
une norme obligatoire et certaines marques ne le notifient à leur métier, à la mode, à la nourriture qui soit différent avaient entre 11 et 17 ans, ne savaient pas ce qu’était un rêve.
pas. Mais nous on parle aussi de “Made How”, c’est savoir et qui corrobore avec les valeurs qu’ils ont aujourd’hui. Je En France, on est bourré de rêves et prêt à se dépasser pour
comment est fait le produit et par qui. Ce sont des questions suis donc raisonnablement optimiste pour l’avenir. les atteindre. Et eux, parce qu’ils n’ont pas eu la chance d’al-
de plus en plus récurrentes que l’on ne se posait pas il y a ler à l’école, n’en ont pas puisque leur seul souhait immédiat
encore 5 ou 10 ans. “Made How” pour moi c’est se dire que Parlez-nous de l’éco-design ? c’est de manger.
l’humain à un coût autant que l’environnement. On ne peut N.L-V — L’éco-design est intimement lié avec l’éco-concep- Accrochez-vous à vos rêves, rien n’est impossible. Même si
pas l’ignorer et il faut l’intégrer dans l’achat d’un produit. tion qui est une analyse scientifique et standardisée du pro- le contexte paraît obscur, il y a toujours de la place pour
duit que vous concevez. On va calculer tous les entrants de des gens courageux, audacieux. Le courage c’est de l’audace
Quels sont les différents matériaux la culture avec une unité fonctionnelle qui est l’usage et l’en- mais aussi de l’endurance pour pouvoir tenir sur la durée. Je
que vous préconisez ? tretien du produit afin de restituer les impacts. Les résultats vous le dis d’autant plus que je l’ai vécu. Donc croire en ses
N.L-V — Le coton biologique parce qu’il ne va pas utiliser vous permettront de vous positionner sur les progressions rêves et se dépasser pour les réaliser ! •
d’intrants* synthétiques, c’est un élément majeur qui ne à faire : émissions de gaz à effet de serre, eutrophisation*,
va pas utiliser d’OGM. Pour moi, il s’agit vraiment d’une ressources fossiles qui sont les trois piliers fondateurs de Pour en savoir plus :
matière de cœur puisque mon parcours a commencé avec l’éco-conception. Ces analyses permettent de prendre des www.goodfabric.fr - @good.fabric - facebook.com/Goodfabric
ces filières de coton biologique. Lorsque j’ai commencé, il décisions sur la conception du produit. C’est une matière en
n’y avait que 35 agriculteurs sur la filière avec laquelle on progrès constant et dans la remise en cause. Il faut dévelop- *Changemaker : personne capable d’innover en s’adaptant
travaillait. Aujourd’hui, ils sont 35 000 familles. C’est une per cet état d’esprit pour pouvoir y parvenir. aux différents environnements.
matière qui devient rare parce qu’elle est très demandée et *Intrant : élément entrant dans la production d’un bien.
qu’aujourd’hui, c’est encore moins de 2% de la production Les meilleurs aspects de votre travail ? *Eutrophisation : apport excessif d’éléments nutritifs dans les eaux,
mondiale. Ensuite j’aime beaucoup le cachemire durable, N.L-V — J’aime mon job mais je suis entrepreneure, donc entraînant une prolifération végétale, un appauvrissement en oxygène et
et particulièrement l’un d’entre eux qui vient de Mongolie c’est un art de vivre. Ce qui est important pour moi c’est un déséquilibre de l’écosystème.
où l’on va prendre en compte la bientraitance animale mais de donner du sens à ce que je fais. Lorsque vous travaillez
aussi le bien-être des éleveurs à travers le mode de collecte dur mais que ça n’a pas de sens, c’est du stress alors que
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